Scepticisme appliqué : l’astrologue, un super-expérimentateur ? La tradition astrologique, une expérimentation à longs termes ?

La tradition astrologique est ancienne : les astrologues multiplient depuis très longtemps les observations de leurs clients et des configurations astrologiques qui les concernent. Posons une question difficile : les millions d’observations astrologiques faites depuis les débuts de l’astrologie peuvent-elles être opposées au résultat d’une expérimentation statistique portant sur des millions de personnes ?

Peter Austin, un statisticien de Toronto, a réalisé une étude comparant les données médicales et le signe astrologique de près de 10 millions de personnes. Avec un tel effectif, il n’est plus question d’interprétations par des astrologues et de reconnaissance de thèmes mais de la recherche de liens entre la santé des gens et leur signe astrologique. Bien sûr, d’autres facteurs astrologiques pourraient intervenir mais, avec un tel effectif, s’il existe un lien avec la position du Soleil, il doit quand même ressortir. En effet, si certaines configurations astrologiques s’y opposent, d’autres doivent au contraire le favoriser et elles s’annulent en moyenne. Ou alors, si le lien disparait sur de si grands nombres, les astrologues ne devraient pas le voir non plus !
Le résultat de cette expérimentation est édifiant : dans le premier échantillon de 5 millions de personnes, les statistiques montrent qu’il y a des risques de santé accrus de façon significative pour certains signes astrologiques ! Risque accru de crise cardiaque pour les Poissons, de se briser le cou pour les Taureaux, de leucémie pour les Scorpions, etc.

L’homme zodiacal, selon l’astrologie traditionnelle. Les différentes parties du corps étant associées à tel ou tel symbolisme astrologique, on peut être plus ou moins disposé à certains problèmes de santé selon ses configurations astrologiques de naissance.

Toutefois, toutefois… et c’était là l’objet de l’expérimentation, les statistiques sont renouvelées sur le deuxième échantillon de 5 millions de personnes afin d’être confirmées. Or, surprise (ou pas) : des résultats significatifs apparaissent de nouveau mais… ce ne sont plus les mêmes ! Comment est-ce possible ?
Cet exemple illustre la différence classique, en science, entre causalité et corrélation : des séries ou des facteurs peuvent ne concorder que le temps de l’expérimentation parce qu’ils n’ont, en fait, aucun lien réel. Ici, les résultats positifs tirés du premier échantillon n’étaient dus qu’au gigantesque croisement de données. En somme, si les risques accrus de crise cardiaque existaient chez les Poissons, ils seraient apparus de nouveau dans le second échantillon. Contrairement aux apparences, cette expérimentation n’était pas simple car aux douze signes astrologiques étaient confrontées des dizaines ou des centaines de risques médicaux et non un ou deux seulement.

Cette dernière expérimentation présente de multiples intérêts. Elle permet déjà de conclure que, contrairement à ce qu’affirme la tradition, le signe astrologique ne favorise pas la survenue de gros problèmes de santé. Mais, justement, ne pourrait-on pas dire que les observations personnelles des astrologues viennent contredire les résultats de cette étude ? Celle-ci, d’ailleurs, n’est-elle pas trop réductrice puisqu’elle ne prend en compte que le signe astrologique ? Ces questions sont fondamentales, très intéressantes dans le cadre des débats sur l’astrologie, on ne peut pas les rejeter par principe. Elles posent la question de la valeur des observations personnelles et de l’expérience chez les astrologues, mais aussi, et surtout, celle de leur représentation des statistiques et de la science en général.

Formulons une mauvaise question : faut-il plutôt faire confiance aux statistiques sur des millions de personnes ou aux observations des astrologues depuis plus de 2000 ans ? En effet, toutes deux renvoient « aux observations sur des millions de personnes ». Mais c’est une mauvaise question si on y répond trop vite : cela revient à exprimer une préférence menant à nier l’un ou l’autre des deux résultats. En admettant que chacun est de bonne foi, la bonne question est plutôt la suivante : comment interpréter ces deux résultats ? 1) les astrologues observent des risques accrus pour la santé selon les signes astrologiques ET 2) ces risques accrus pour la santé n’existent pas dans une population de plusieurs millions de personnes. Ne cédons pas à la facilité de rejeter une constatation au profit de l’autre. Il faut rendre compte de l’existence de ces deux séries « d’observations » et reposer la question : est-ce que « ça marche » vraiment ?

12.2] L’astrologue, un super expérimentateur !

Il est bien difficile de rejeter les résultats d’Austin (l’expérimentation est décrite par Nicolas Gauvrit dans un encadré de cette page) qui ressortent de données médicales enregistrées :

  • sur des années,
  • sur un si grand nombre de personnes,
  • par des organismes qui ont intérêt à disposer de données précises
  • par des individus non partisans : ils ne l’ont jamais fait à des fins de test de l’astrologie

Les personnes qui consultent les astrologues seraient-elles plus prédisposées que les autres à ce qui est observé par les praticiens ? Ou alors, les astrologues pourraient-ils se tromper à propos des signes astrologiques, mais pas à propos des autres facteurs astrologiques ? Tout cela pose deux problèmes majeurs. Cela signifierait, d’abord, que les conclusions des astrologues ne concernent pas toute la population, mais seulement la partie qui les consulte. Autrement dit que l’astrologie n’impacte pas tous les humains, ce qui est, au contraire, l’un de ses présupposés. Le serpent se mordrait la queue. De plus, si l’astrologie médicale est valable, cela impliquerait aussi que leurs observations sur la position du Soleil, en signe astrologique, sont mauvaises quand, dans le même temps, leurs observations sur les autres facteurs astrologiques sont bonnes. Or, les astrologues n’ont jamais développé deux méthodologies distinctes d’observation, cette hypothèse est donc tout à fait contradictoire. Les différentes observations des astrologues n’ont donc pas de raisons, a priori, d’être meilleures ou moins bonnes que celles sur le signe de naissance. Il n’empêche que l’on peut quand même admettre que les astrologues « observent » bien des risques accrus pour la santé des natifs de certains signes astrologiques et se poser la question de la nature et de la qualité de ces observations.

Or justement, les statistiques montrent que tout observateur, qu’il soit astrologue ou scientifique, ne peut pas se contenter de mesures sur un nombre réduit de cas. C’est la question de la taille de l’échantillon. Il ne peut pas non plus multiplier ses observations sans prendre un minimum de notes afin de ne pas être victime de sa mémoire. En effet, quand des observateurs décident de multiplier des observations impliquant une multitude de facteurs bien réels, mais sur un nombre réduit de cas, ils arrivent presque toujours à des résultats positifs mais… différents ! Ils observent, certes, des écarts à la moyenne mais… qui varient d’un observateur à l’autre ! Qui a raison, qui a tort ? Les astrologues devraient plus souvent se poser cette question car ils sont directement concernés.
Le problème est que, pour chacun des praticiens, les centaines de configurations astrologiques différentes (qui ne peuvent pas être isolées les unes des autres) sont appliquées à l’interprétation de centaines de situations individuelles elles aussi différentes ! Le nombre de millions de combinaisons entre configurations astrologiques et situations humaines possibles est alors si énorme que la taille de leur échantillon en dizaines ou centaines de personnes est bien trop faible pour être représentative !

L’un des observateurs peut donc avoir raison face aux autres mais plusieurs aussi peuvent avoir raison s’il y a plusieurs liens bien réels. Le problème est qu’une troisième option est possible : que personne n’ait raison malgré les écarts observés. En fait, quand les résultats diffèrent, c’est souvent le signe du hasard.

Il y a donc trop de conclusions astrologiques à vérifier. Pour l’instant, aucune d’entre elles n’est évidente, faute de pratique méthodique et de formation rigoureuse pour le praticien. Il faudrait donc tester les plus prometteuses d’entre elles afin de décider de la valeur potentielle des autres. Mais comment choisir ? Il faut alors chercher les conditions propices au test, l’idéal étant alors de constituer un échantillon d’un très grand nombre de personnes, d’où l’intérêt de l’expérimentation d’Austin. Si tel ou tel astrologue a observé que tel ou tel signe astrologique est plus prédisposé que les autres à tel ou tel problème de santé et que cela correspond à une réalité générale, cela doit apparaître sur des échantillons de millions de personnes. Les résultats d’Austin montrent donc que, si les astrologues observent des problèmes médicaux plus présents chez leurs patients de tels ou tels signes, ils devraient s’interroger sur le nombre de leurs observations et le fait que leurs collègues n’obtiennent pas les mêmes résultats : il faut interroger la méthodologie d’observation au quotidien.

Mais une autre question se pose à propos de l’observation astrologique. Revenons à notre interrogation initiale sur la tradition et demandons-nous s’il serait possible d’ajouter les échantillons de tous les astrologues sur des milliers d’années. L’échantillon serait alors énorme mais les conclusions seraient-elles pour autant mieux recevables ? Pour que ce soit le cas, il faudrait d’abord que les astrologues aient défini une méthodologie d’observation dès l’origine. Et s’y soient tous tenus. En effet, si chacun observe et interprète différemment, que signifie « ajouter » les observations les unes aux autres ? Or, une telle méthodologie n’a jamais existé et on ne peut s’en étonner puisque, pour cela, il aurait fallu maîtriser les statistiques, les probabilités et, dans une certaine mesure, la psychologie ou les sciences cognitives. C’est-à-dire développer l’épistémologie scientifique bien avant l’heure, en niant par exemple tout finalisme.
Mon avis est que, il y a un peu plus de 2000 ans, les astrologues ont construit une montagne de complexité dont ils ignoraient tout des véritables pièges qu’elle recèlerait. Il faut donc replacer la question de « l’observation astrologique » dans son contexte : pour l’instant, l’astrologue est comme un « super expérimentateur » qui conduit en permanence, et en parallèle, des centaines d’expérimentations à la fois. Il observerait tout, tout le temps et dans toutes les situations ! De plus, ce super expérimentateur ne prend pas la peine de noter systématiquement ses milliers d’observations annuelles, ni ne trie entre ses interprétations réussies et ratées. Je pense que les choses se déroulent ainsi parce que cette organisation est contre nature pour la pratique de l’astrologie. Celle-ci est d’abord inspirée, créative, humaine. L’astrologue n’organise pas ses « résultats d’observations » autrement que dans sa mémoire ; il néglige le fait qu’elle est nécessairement sélective. Il ne se dit pas, non plus, que s’il avait rencontré ses clients dans un ordre différent, ses souvenirs auraient pu être autres et son expérience complètement changée…

En fait, les paramètres de l’astrologie sont innombrables et observés en parallèles par des praticiens non formés aux pièges des grands nombres. On ne peut donc pas s’étonner que, comme le prévoient les statistiques, les praticiens aboutissent à des résultats différents les uns des autres, ce qui rend compte des différentes astrologies et des désaccords entre astrologues.
La tradition astrologique ne peut pas résulter d’une somme d’observations astrologiques (ni d’une sélection des meilleures) au fil du temps, car il y aurait alors consensus dans le milieu. Au lieu de se demander qui a raison parmi les autres, les praticiens devraient se demander dans quelle mesure chacun peut se tromper. On comprendra donc qu’il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de défendre l’idée selon laquelle toutes les observations des astrologues sont par nature à la fois rigoureuses et précises. Donc recevables. Soit ils sont à la fois surhumains et commettent paradoxalement des erreurs de débutant, soit il faut commencer à remettre en question certaines évidences qui fondent la notion même de tradition astrologique.
Même si cela leur paraîtra réducteur, il faut regretter qu’aucun astrologue n’ait consacré une partie de sa vie à n’observer qu’une configuration astrologique à la fois, par exemple la santé « de ceux qui ont le Soleil en Verseau » ou (seulement) la santé « de ceux qui ont Saturne en conjonction au Soleil », etc. Même si l’astrologie médicale n’est pas du tout la branche la plus développée de l’astrologie, c’est pourtant ce genre de séries d’observations très localisées qui, seul, pourrait présenter un intérêt.

Pour en revenir à l’expérimentation d’Austin, il est donc plus pertinent de conclure que les observations de l’astrologie médicale ont toujours été désorganisées, donc approximatives. Mais il faut alors se poser la question de la qualité des observations astrologiques en général, que ce soit sur le domaine affectif, la profession ou la personnalité. En effet, 1) aucune série d’observations (bien délimitées) n’a jamais fondé l’interprétation astrologique et 2) si les astrologues étaient rigoureux sur le plan de l’observation, alors ils ne seraient pas autant en désaccord entre eux.
Les résultats des expérimentations présentées plus tôt sont saisissants et s’ajoutent à la question sociologique pour converger vers une conclusion : on dirait que l’astrologie ne « marche » que lorsque l’astrologue est au contact de son client. Cette remarque n’est pas du tout anodine. Elle va dans le sens d’une astrologie plus utilitaire que transcendante ou causale ; elle permettrait au praticien de créer (parfois, toujours ?), de toutes pièces ses propres interprétations en fonction de la situation réelle de celui qui vient le consulter, tout en croyant et en laissant croire qu’il interprète le message des astres. L’expression « utiliser l’astrologie » étant trop vague, je militerai plus tard pour considérer que le praticien « utilise l’outil astrologique » pour alimenter sa créativité et son inspiration, dans le but de conseiller son client.


Extrait de « Astrologie, la fin des mystères« , chapitre 12.
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