Signes et constellations : un drôle de poisson d’avril (2022) chez Numérama

Le 1er avril dernier (2022), le site internet Numérama a mis en ligne un article reprenant en partie le contenu d’une vidéo publiée, cette fois, sur leur chaîne YouTube : NOUVELLE LUNE sous le signe du BÉLIER : ça veut dire quoi ?

C’est un de mes contacts (merci Frédéric !) qui me l’a signalée et elle est conçue comme un 1er avril puisque la présentatrice simule des prédictions astrologiques qui (il est vrai, malheureusement…) sont à lire ici et là à chaque nouvelle lune.

C’est l’occasion pour elle de parler des phases de la lune mais, surtout, de la (traditionnelle) question astrologie – astronomie.

Mais, en visionnant cette vidéo, j’ai malheureusement compris que le poisson d’avril se situait moins dans les prédictions (pas si) parodiques que dans la prétention de proposer une vidéo sérieuse sur le sujet. Car elle est truffée d’erreurs. Toujours les mêmes (pour ceux qui connaissent mon travail).

J’ai donc réagi en postant un long commentaire sous leur vidéo mais comme je ne suis pas sûr ni qu’il sera lu ni qu’il sera pris en compte, ni non plus s’il restera sous la vidéo, je préfère le recopier ici car le sujet est en effet très intéressant. Je le sais puisque j’ai failli lui consacrer trois parties dans trois ouvrages différents (les fils vert, bleu et rouge, pour ceux qui connaissent mon travail).

J’ajoute quelques schémas pour illustrer ma réponse.

J’espère que Numérama tiendra compte de ce contenu et, même, reverra sa copie car, à mon sens, c’est une bien mauvaise information astronomique qui est délivrée là. [EDIT du 6 juin 2022 : aucune modification ou réponse de Numérama sur le fond, seulement un lien vers le site de l’Observatoire de Paris mais sans JAMAIS envisager que la journaliste a peut-être mal compris ce qu’elle y a trouvé… C’est l’un des droits et des pouvoirs de la presse : ne pas se corriger si elle ne le souhaite pas (faute de temps, d’argent, de capacité à évaluer la valeur de la critique, etc.)].

Voici mon commentaire, tel qu’il est sous la vidéo en ce 3 avril 2022.

Je ne comprends pas… vous avez un spécialiste de l’analyse critique de l’astrologie en France (lien vers mon travail YouTube) et vous ne lui proposez par de vous relire (contrairement à d’autres médias).

Ne vous étonnez donc pas que votre critique laisse indifférents les croyants en l’astrologie qui vont vous répondre que « oui mais on sait bien qu’un signe n’est pas une constellation » et évacuer toute votre vidéo en un clin d’oeil. C’est dommage… C’est peut-être aussi une sorte d’effet Duning-Kruger sur une discipline tellement bête qu’il n’y a pas besoin d’être trop rigoureux ? Ce serait dommage pour des journalistes scientifiques mais vous ne seriez pas les premiers à commettre l’erreur.

Si vous aviez parlé du fait que les signes astrologiques ne renvoient plus vers le ciel réel mais vers un ciel virtuel (pour ne pas dire imaginaire), cela pouvait toucher autrement. Si vous aviez rappelé que la référence aux saisons pour définir les symbolismes astrologiques est absurde, donc déconnectée de la nature, du ciel et du réel en général (genre le Lion est un signe d’été mais… en Afrique du Sud c’est un signe d’hiver et entre les tropiques ce n’est ni l’un ni l’autre), vous auriez rappelé aussi que l’astrologie n’est au moins pas universelle.

Il y aussi pas mal d’erreurs dans votre vidéo mais, bon, cela rappelle une fois de plus que l’information astronomique a bien du mal à circuler… Je dépose la liste ci-dessous et je serais heureux de vous conseiller si vous souhaitez corriger vos erreurs (j’ai l’habitude de poster des vidéos sur YouTube) dans une prochaine vidéo : ce serait même tout à votre honneur et positif pour votre public qui, ici, a été vraiment mal informé… Il ne faudrait PAS que cette vidéo reste en ligne.

Quelques remarques dans le détail :

[je conseille à chacun de regarder la vidéo en vous arrêtant au timing ci-dessous]

1:39 : je pense que c’est une erreur pédagogique de présenter une constellation comme « un groupe d’étoiles ». Cela crée ou renforce une confusion (présente chez les astrologues et les néophytes) chez ceux qui pourraient continuer de penser à une sorte d’amas d’étoiles. Or, comme vous l’expliquez après (1:56), les étoiles sont à des distances très différentes, ce qui, d’un point de vue pédagogique va contre l’idée de « groupe d’étoiles »… Eventuellement parler de « regroupement » car cela dit implicitement que c’est l’homme qui opère des regroupements arbitraires ? Ou alors de groupes de points mais pas d’étoiles.

Pour ma part, je parle carrément d’anamorphose (l’oeuvre d’art), pour définir une constellation : cherchez le mot sur cette page de mon blog (lien astronomie dans Harry Potter) si vous voulez.

1:45 Les astronomes ont dessiné les (astérismes des) constellations sur la sphère céleste : pas évident car un bon nombre date d’époques antérieures à la création de l’astronomie (mathématique). Par contre, les astronomes ont CODIFIE les constellations en 1930 (travail de Eugène Delporte et raison de la création de l’union astronomique internationale), oui. D’où un problème vu que les signes astrologique sont bien plus anciens que cette codification très très récente.

2:11 illustrations très européocentrées puisqu’il n’y a pas 4 saisons de partout sur la Terre, par exemple entre les tropiques… Vous êtes sur internet, ici, hein ? Pas sur la télévision française.

2:30 Attention : repérée depuis la Terre, l’écliptique est une LIGNE (vous le dite à 2:40), éventuellement un PLAN (de l’orbite terrestre mais pas sur la sphère céleste), le zodiaque et des constellations ne peuvent donc pas « être DANS l’écliptique », ça n’a juste aucun sens et c’est l’une des raisons de ce genre de mauvaise critique de l’astrologie (il y en a tellement d’autres 😊 ). Vous évoquez en fait la bande zodiacale, qui n’est pas exactement le zodiaque (2:50).

Une orbite de Pluton repérée dans les deux zodiaques (image tirée de mon essai critique : Astrologie, la fin des mystères (tome 1, chapitre 3)

Car, justement :

1 les constellations du zodiaque (astronomique) ne sont pas toutes prises dans la bande du zodiaque (des signes astrologiques) : le Scorpion, par exemple, en déborde très largement, d’où la question du Serpentaire.

2 les constellations ne définissent pas la bande zodiacale, sinon il faudrait y inclure aussi Orion

3 Quand les planètes traversent Orion ou la Baleine, ne sont-elles plus « dans le zodiaque » ? Question pas du tout anodine… mais que vous évitez aussi en fin de vidéo en parlant justement de la Baleine.

3:20 pas si évident que « à la base » ce soit ce schéma qu’on appelle horoscope du fait que, en Grèce, mais aussi chez l’astronome Ptolémée (qui a codifié l’astrologie au 2e siècle de notre ère) l’horoscope est défini comme l’Ascendant (Tétrabiblos, livre I-13). Il y a plusieurs acceptions du mot (en fait 4).

3:35 c’est donc que la Lune est vue dans la constellation du Bélier ? Ben oui puisque c’est votre erreur de définition qui pousse à cette conséquence mais ce n’est pas la définition du zodiaque astrologique puisque… vous n’avez pas cherché à définir ce qu’est un signe astrologique. Vous n’êtes donc pas obligé(e) de vous demander pourquoi il y a 2 notions différentes ici.

3:49 WHAT ? Les constellations nommées 2 à 3 siècles avant notre ère ??? Les constellations du Scorpion et du Verseau apparaissent sur des poteries et autres monuments en Mésopotamie 2 ou 3000 ans plus tôt mais, surtout, le zodiaque des signes est formalisé 5 siècles avant notre ère en Mésopotamie avant d’arriver, plus tard, en Grèce. Presque toutes les constellations existent déjà en Mésopotamie au moins vers l’an 1000 (sur les tablettes MUL.APIN).

3:51 je vois que c’est un florilège de contresens : les signes auraient donc été nommés « logiquement » selon les constellations qui correspondaient ? Alors si vous avez UNE SEULE source historique montrant des textes expliquant ça, ça m’intéresse parce que les historiens de l’Antiquité ont déjà bien du mal à reconstituer cela en Mésopotamie.

(© Serge Bret-Morel)

Surtout, surtout : les constellations ayant des étendues différentes, la Vierge recouvre presque 3 signes [correction : en fait 2], vous voyez venir le problème ? Et le Serpentaire alors ? Donc soit cela implique que ce sont des astrologues qui ont arbitrairement nommé 12 signes, soit ce sont des astronomes qui, alors, n’ont PAS nommé les signes, littéralement selon les constellations « correspondantes », à moins d’oublier la question des étendues. Spoiler : en Mésopotamie il n’y a pas de Serpentaire.

4:02 cela voulait bien dire « la lune est vue dans la constellation du bélier » : Eh bien non… car vous omettez juste l’histoire de l’astrologie dans laquelle l’astronome Ptolémée (déjà évoqué) place l’astrologie dans les signes en toute connaissance de cause de la précession des équinoxes. Notamment pour des raisons saisonnières : on peut fixer les signes sur le point vernal (définissant le début de notre printemps) alors que les constellations vont inexorablement se décaler par rapport aux saisons. Aujourd’hui « la lune en Bélier » a deux significations tout à fait valables : dans la constellation du Bélier, certes, ou alors dans le signe du Bélier. Je l’explique ici devant les astrophysiciens du festival de Fleurance (lien)

Mais vous pouvez consulter aussi le « Que sais-je ? L’astrologie » (Presses Universitaires de France, 2005) des astronomes Kunth et Zarka qui reconnaissent que l’argument de la précession des équinoxes est régulièrement réfuté par les astrologues (pages 73-74). Leur mise à jour « L’astrologie est-elle une imposture ? » (CNRS Editions, 2018) le confirme pages 107 à 109.

4:07 c’est pourquoi la précession des équinoxes n’est pas venue « compliquer tout ça », elle a obligé à un choix : signes ou constellations pour l’astrologie ? [Ptolémée, donc]

4:29 « Dans l’Antiquité, au moment de l’équinoxe de printemps le soleil entrait dans la constellation du Bélier » non : « à un moment de l’Antiquité » seulement car l’Antiquité c’est suffisamment long pour que cela ait vite posé problème, d’où le travail de Ptolémée.

4:38 aujourd’hui le Soleil entre dans la constellation des Poissons à l’équinoxe de printemps ? Mais non, il faudrait pour cela que les constellations aient la même étendue entre elles, comme les signes, ce qui n’est pas le cas.

En 2022, le Soleil est entré dans la constellation des Poissons le 13 mars et, donc, au moment de l’équinoxe de printemps, il était à peu près au tiers du segment de la ligne écliptique dans la constellation des Poissons. Il n’y entrait pas : le logiciel gratuit Stellarium est très pratique pour visualiser cela.

4:42 Aïe ! Un schéma carrément faux…

Vous ne montrez pas les constellations, à l’écran, mais leurs astérismes. Les constellations sont définies par l’union astronomique international et ce sont des surfaces sphériques de la sphère céleste, si vous voulez. Ce ne sont pas des dessins. D’ailleurs, ça ne vous gêne pas à 4:45 de dire que la Lune est dans la Baleine « et pas dans le Bélier » alors qu’elle est [à l’écran] à côté de l’astérisme des Poissons et loin de celui de la Baleine ?

D’un point de vue pédagogique c’est absolument incompréhensible, je pense que vous en conviendrez.

4:50 « L’astrologie utilise une base objective, la position des astres dans le ciel » : justement non, comme je l’ai expliqué aussi devant les astrophysiciens du festival de Fleurance en août dernier, exactement ici : lien.

Mais je donne un autre exemple là : lien.

4:55 « un vocabulaire et une présentation qui ne sont pas reconnus par les scientifiques » : non, ce n’est pas ça le problème, ça c’est une question de repérage. De même qu’on ne peut pas reprocher aux anglais d’utiliser les miles (plutôt que les km) s’ils le souhaitent, on ne peut pas reprocher aux astrologues d’utiliser les signes (comme l’ont fait les astronomes jusqu’au XIXe siècle, d’ailleurs). Ce qu’on leur reproche c’est de laisser croire que la position de la lune dans le ciel (en signes ou en constellations, on s’en fout) puisse annoncer quoi que ce soit sur le monde ou sur les gens. Car, ça, c’est invalidé depuis longtemps.

5:05 « intéresser les gens à la différence entre astronomie et astrologie c’est une chose », mais en y incluant tant d’erreurs, ce n’est pas une bonne chose…

SVP, merci de comprendre que mon but n’est pas de vous clasher, c’est juste que cela fait des dizaines d’années que ces erreurs existent et continuent d’être commises alors qu’elles ont été corrigées depuis longtemps. Donc ça me met un peu en boule de devoir le répéter plusieurs fois par an. Si vous souhaitez qu’on en parle, notamment pour corriger cette vidéo, n’hésitez pas à me contacter, je vais de toute manière moi-même vous signaler l’existence de cet article.

Serge Bret-Morel, le 3 avril 2022

(astroscept @ yahoo.fr)