Sur Netflix : l’astrologisme ordinaire à l’écran

Alors que la crise de la covid a donné un nouveau coup de boost à une astrologie déjà bien portée depuis quelques années par les réseaux sociaux, Netflix vient de diffuser la première saison du Guide astrologique des cœurs brisés. Cette série romantique italienne présente les aventures d’Alice, maladroite et craintive assistante de production chez Dora TV. Depuis une rupture douloureuse, elle reste désespérément célibataire et se pose des questions comme « pourquoi on nous a fait grandir avec des comédies romantiques si ces histoires n’arrivent jamais dans la vraie vie ? ».

C’est alors que Tio, un gourou charismatique expert en astrologie, la pousse à chercher l’âme sœur dans les étoiles.

Adaptée du livre éponyme à succès de Sylvia Zucca, la série se déroule à Turin et voit chaque épisode dédié à un signe astrologique différent. Dans l’ordre zodiacal, un personnage du signe à l’honneur va jouer un rôle clé qu’on ne connait pas à l’avance. C’est l’occasion d’une petite description de son symbolisme, en général par Tio, afin de comprendre ou d’anticiper les comportements des personnages. L’ambiance du signe astral peut même influer sur l’épisode : dans le premier prime la question de l’affirmation de soi (Bélier), le quatrième voit Alice passer un long moment dans sa famille (Cancer) et, dans l’épisode 6, elle se met au service des autres jusqu’à s’oublier elle-même et le payer au prix fort (Vierge).

Mais, étonnée par les conseils astrologiques de Tio, Alice a très vite l’idée d’un concept de jeu télévisé. Il serait le coach-astrologue personnel d’un ou une candidate venant chercher l’amour parmi 12 prétendants représentant chacun les douze signes du zodiaque. Voilà ainsi Alice à la tête de l’émission Stars of love dont les coulisses vont être le véritable fil conducteur de la série.

Quelques critiques de l’astrologie

Mais l’astrologie est une discipline controversée et nombre de ses travers apparaissent nettement à l’écran. Au départ, Alice pense que « ce n’est que du baratin » et rappelle que « les Bélier ne sont pas tous pareils, les Balance ne se ressemblent pas tous non plus ». Sa meilleure amie la met rapidement en garde contre « ce nouvel ami astrologue qui est en train de l’envoûter ».

Tout le monde sait aussi que les prétentions de l’astrologie sont réfutées par d’innombrables études et tests (incluant parfois des astrologues : lien) de tous les domaines scientifiques possibles et imaginables : physique, astronomie, psychologie, sociologie, histoire, etc. C’est Andrea, un géologue Cancer candidat de l’émission dans l’épisode 4, qui interroge avec humour sur ce problème : il « n’existe pas de preuve scientifique d’un quelconque rapport entre les astres et le caractère des êtres humains. Par exemple, il n’y a aucune raison plausible de répartir l’entière espèce humaine en 12 groupes en classant ensuite chacun d’eux selon des symboles complètement aléatoires. (…) le champs magnétique généré par les astres est beaucoup plus petit comparé à des objets de la vie quotidienne. Il faudrait alors ajouter le symbole du grille-pain ou de la radio ».

Bien que légère et vite évacuée, la critique de l’astrologie est tout de même évoquée ici et là, la série n’est pas vectrice d’un prosélytisme pur et dur.

Et puis l’astrologie semble dire vrai surtout quand Tio analyse les choses une fois les événements connus (ce qui quand même plus facile, n’est-ce pas ?), « il faut savoir que le ciel n’est pas favorable pour les Balance, en ce moment » (épisode 1). Il arrive aussi qu’il soit contredit par les faits car Alice va, au contraire, avoir très vite l’idée du jeu télévisé qui va propulser sa carrière. Tio se rate aussi quand il est persuadé qu’une personne est Capricorne alors qu’elle est Taureau (épisode 2). Certes, « tout le monde peut se tromper », explique-t-il, mais est-ce que cela arrive souvent ? Voilà le genre de questions qui n’est jamais abordé…

Misères de l’astrologisme ordinaire

Parce qu’il veut rassurer une Alice en plein doute, le recours à l’astrologie lui sera bien utile quand il n’y a pas d’explication simple à apporter à une situation mais il faut noter que, dès que ce n’est pas le cas, l’astrologie semble devenir inutile. Bien sûr (épisode 2), elle « n’est pas une science exacte » (c’est bien pratique…) et Tio « ne peut pas savoir comment Alice et Lucas fonctionnent mais » les étoiles, « elles, le savent ». Comme dans la vraie vie, ce n’est donc jamais l’astrologie (sacrée ?) qui est fausse quand il y a erreur, c’est forcément l’astrologue qui se trompe. Tout cela ressemble beaucoup à une béquille peu solide.

A l’heure où 41% des français croient à l’explication des caractères par les signes astrologiques, il n’est pas inutile que la série mette en scène des situations de la vie courantes montrant comment, sans le vouloir, l’astrologie peut déraper et mener vers une sorte « d’astrologisme ordinaire ».

En effet, le symbolisme astrologique est si facilement utilisable que, dès la première journée (épisode 1), Alice demande à une amie si elle « connait son signe » à propos d’un homme « diablement sexy » car… « hors de question qu’il soit Scorpion » ! Pourquoi ? Parce que Saturne vient juste de quitter la Balance (où, selon Tio, elle aurait causé tant de problèmes à Alice depuis deux ans) pour entrer dans le signe du Scorpion : un homme de ce signe « a Saturne contre lui, qu’il se la coltine tout seul : on en reparlera peut-être dans quelques années quand il aura réussi à refiler la patate chaude à un autre signe ! ».

Une condition d’existence de l’astrologie est donc que la liberté astrologique pour soi n’existe… qu’à condition qu’elle n’existe pas vraiment pour les autres (afin qu’on puisse les prévoir !) : « l’astrologue gouverne les astres » mais pas autrui, qu’il soit sage ou pas ! Quand la priorité est psychologiquement de faire taire nos hésitations dans l’œuf, le risque est donc de ne même pas chercher à connaître des personnes finalement « astrologisées » malgré elles. On leur applique l’astrologie sans retenue, au risque de les enfermer dans des cases astrologiques étanches, très étroites (déterminisme astral ou fatalisme ?) et si abstraites qu’elles sont loin d’une réalité humaine forcément bien plus complexe.

Selon Tio (épisode 1), « le Bélier est génétiquement inapte à saisir certaines nuances comme, par exemple, le sens commun de l’hygiène ou la galanterie » et le Gémeaux « est infidèle », voire « toxique ». Une sorte de procès par contumace qui ne dit pas son nom mais peut aller très loin, un ton péremptoire aidant à donner l’impression d’un savoir bien établi. On imaginera donc les dégâts invisibles mais courants qui découlent d’un critère de choix aussi injuste que définitif, utilisé par exemple dans le cadre du recrutement de collaborateurs professionnels, dans la vie amicale ou dans la vie amoureuses. Tio ne sort ainsi qu’avec « des personnes astrologiquement compatibles avec lui »…

Le saviez-vous ? Preuve que cela interroge certains pseudo spécialistes, il existe même des articles consacrés aux couples mythiques qui (shocking !) sont composés de deux signes astrologiques théoriquement incompatibles (comme Marion Cotillard et Guillaume Canet). Contradiction ? Non, bien sûr, car il y aurait des exceptions à la règle : le signe astral pourrait être contredit par telle ou telle mauvaise configuration astrologique présente dans la carte de naissance. Par contre, en cherchant un peu, on voit que la liste de ces configurations « exceptionnelles » est très longue… A croire que, en astrologie, le seul signe astrologique n’assure finalement de rien du tout. En fait, si l’astrologie semble contredite alors il suffit de vite aller chercher une configuration gênante dans le thème astral pour la sauver. A l’inverse (si rien ne contredit l’interprétation), la configuration gênante peut bien être présente ou pas, vous verrez que personne ne prendra la peine d’aller voir si elle est là. Un grand biais de confirmation commun à tous les fans pour qui l’astrologie n’a pas besoin d’être vraie ou rigoureuse. L’important c’est que ça valide (si ce n’est une béquille)…

La prophétie autoréalisatrice

Autre risque commun avec les astres, la « prophétie autoréalisatrice » (ou « comportement de confirmation »). Puisque Tio vient de prévoir à Alice « la possibilité d’un amour puissant et tumultueux », elle se décide à sortir et surinvestis même la situation : « ce soir, je découche ! » (épisode 1). Et la voilà partie à un rendez-vous galant qui, finalement, ne se déroulera pas du tout comme prévu et sera, au contraire, bien plus riche d’événements. La question est alors : si Alice avait décidé toute seule de sortir avec son amie, mais une semaine plus tôt et en étant aussi convaincue qu’elle allait rencontrer quelqu’un, le résultat n’aurait-il pas été le même ? Finalement, le conseil astrologique a-t-il prévu ou plutôt provoqué une situation que la personne évitait jusque-là, en profitant par exemple d’un abattement pour recharger (artificiellement) la personne ? On peut penser que, même s’il est bidon, l’horoscope remonte le moral quand il devient roboratif. N’est-ce pas d’abord parce que Tio lui dit « ose et fonce » que tout change ? Et parce qu’il la pousse à s’habiller de manière provocante qu’elle en adopte l’attitude (l’habit fait un peu le moine) ? Y a-t-il vraiment une prévision ? Comme le présente la 4e de couverture du livre de Sylvia Zucca, « Alice se convertit à l’astrologie, au risque de passer à côté du hasard, qui fait parfois bien les choses en amour ».

Conclusion

Au final, si les signes astrologiques sont invoqués à chaque épisode et les critiques de l’astrologie présentes ici et là, les étoiles ne déterminent heureusement pas non plus vraiment les intrigues amoureuses ou professionnelles de cette série romantique. L’un des personnages clés refusera même de révéler son signe et, mini coup de théâtre à la fin de la première saison : Tio, le conseiller sentimental, avouera qu’il n’a jamais connu l’amour (une véritable « terre inconnue » pour lui) et qu’il a peut-être surtout besoin de se rassurer. Mais que retiendront les spectateurs de ces intrigues teintées d’astrologie ? Seulement que cette dernière est sympa et présente un intérêt ou bien aussi qu’elle autorise à des comportements invisiblement dangereux mais dangereux quand même ?

La deuxième saison du Guide astrologique des cœurs brisés est déjà tournée et même en post-production, elle pourrait sortir sur les écrans dans les premiers mois de 2022 en continuant, et achevant, la liste des douze signes du zodiaque.

Serge Bret-Morel, ex-astrologue devenu sceptique

L’astrologie, ça marche !… Trop. : autobiographie sous forme d’entretien avec Elisabeth Feytit, du podcast Méta de Choc.