Quand les horoscopes avaient échappé aux astrologues (XIXe siècle)

Il y a presque un an et demi, j’ai voulu retrouver les tout premiers horoscopes de presse en allant vérifier les sources de la seule étude qui y consacre un chapitre. Le retour des astrologue, enquête-diagnostic (lien 1) dirigée par Edgar Morin et Claude Fischler fut publiée à la fin des années 60 et rééditée 10 ans plus tard sous le titre La croyance astrologique moderne, diagnostic sociologique, (lien 2). Mais ce qui devait être une simple vérification de sources s’est mué en une véritable enquête, jalonnée de plusieurs rebondissements. L’étude renvoyait aux années 30 mais j’ai pu, finalement, remonter beaucoup plus loin.

Et me suis très vite heurté à une difficulté inattendue.

La polysémie du terme « horoscope » est, certes, depuis longtemps rappelée par les astrologues : l’« horoscope » renvoie-t-il à une rubrique astrologique de prédictions ? A la figure astrologique de naissance ? Au point ascendant de cette figure ? Contrairement aux apparences, la signification du terme n’entre pas, il y a 100 ou 150 ans, dans les catégories définies ci-dessus, elle est même devenue incompréhensible aujourd’hui. Il va donc nous falloir dépasser l’avis des astrologues sur la question (qui était aussi la mienne avant le début de cette enquête, je le reconnais) : « rubrique de prédictions astrologiques » a pris la place des deux autres. Non, cela ne s’est pas passé de la sorte.

Afin de ne pas nous attaquer à une gigantesque documentation qui recouvre déjà plusieurs siècles, délimitons bien notre sujet à la rubrique de presse. Or, les traces de ce format ne se perdent pas du tout dans la nuit des temps. En 2016, j’ai déjà décrit les incroyables concours de circonstances qui ont permis à l’astrologie d’intégrer la presse Anglaise (Une princesse, un crash, des morts, la naissance des horoscopes de presse). Depuis, j’ai travaillé aussi sur l’origine des horoscopes de presse en France : Enquête à rebondissements sur l’origine des horoscopes de presse

 

Mais plongeons maintenant dans les documents d’époque, bien avant les années 30 : surprises annoncées !

« Horoscope » ?

Une recherche systématique dans la presse des XIXe et XXe siècles à partir des mots-clés « horoscope » ou « horoscopes » apporte des milliers de résultats qui brouillent d’entrée toutes les pistes que nous pensions balisées. On constate que le terme « horoscope » et l’expression « tirer l’horoscope » font tant partie du langage courant qu’ils apparaissent dans tous les journaux populaires (au moins) du XIXe siècle. Mais les trois significations évoquées plus tôt (rubrique astrologique, figure de naissance, ascendant) ne rendent compte que d’une minorité des résultats. En voici un florilège (parmi beaucoup d’autres de même nature dans d’autres journaux) tirés du quotidien Le Matin.

Dans le numéro du 12 avril 1884, on apprend la mort de l’illustre chimiste, politicien et Grand-Croix de la légion d’honneur J.-B. Dumas dont on retiendra entre autres brillantes réussites qu’il « protégea toujours la science et les savants, les jeunes surtout. C’était avec une bonté infinie qu’il les accueillait et avec un flair exceptionnel qu’il leur tirait parfois leur horoscope, lui qui avait deviné et soutenu seul Daguerre, ce chercheur qui passait pour fou ». Première (intuitive) interprétation : l’astrologie était pratiquée par un chimiste reconnu, pourtant, pour ses compétences scientifiques ! Indice : méfions-nous de nos intuitions…

Un autre exemple en date du 30 mai 1886 narre comment, au matin d’une journée de chasse, les cavaliers « tiraient l’horoscope de la journée en supputant les chances que l’on pouvait avoir de porter bas la bête avant de déjeuner, ou de ne la forcer qu’à la nuit tombante ». L’astrologie omniprésente, aussi, dans la bonne société ? Et problème technique : comment recourir aux astres le matin même de l’événement, à dos de cheval et en un temps où les éphémérides étaient encore des ouvrages arides de plusieurs centaines de pages ? Incompréhensible…

Pire, dans ce feuilleton paraissant dans Le Matin du 17 février 1894 : le personnage de Bonaparte s’agenouille devant quelques dames afin de « tirer leurs horoscopes » à partir des lignes de leurs mains ! De l’astrologie sans astres ? La signification du terme n’étant pas explicitée dans le texte, elle était donc évidente à la fin du XIXe siècle.

Mais continuons avec un autre curieux « horoscope », cette fois politique, présenté avec humour le 2 novembre 1895 (repris du Figaro). A noter que la question a dû être formulée après coup.

Cette pratique est non seulement populaire mais manifestement habituelle. L’astrologie y serait-elle donc aussi présente ? Les articles de fond traitant d’astrologie sont trop rares pour cela et, à l’inverse, quel est encore cet « horoscope » dans lequel, manifestement, il n’y a toujours pas d’astrologie ?! Une pratique si commune, en fait, qu’elle donne lieu en janvier 1912 à ce genre de publication dans la Croix, c’est-à-dire la presse catholique, et en première page !

Manifestement encore, cette pratique semble renvoyer à un jeu pour lequel « on » a obtenu pas moins de… 339 résultats différents à partir d’une même liste de noms et prénoms ! Autrement dit, toujours pas trace d’astrologie au sens où on l’entend aujourd’hui et « tout le monde peut participer ». L’aspect prévisionnel est tout de même présent.

Ces différentes significations du terme « horoscope » vont perdurer encore pendant des dizaines d’années, comme le montrent les exemples qui suivent maintenant. Le généraliste Je sais tout organisera par exemple, ni plus ni moins, qu’un « concours d’horoscopes » en décembre 1910 !

Dans celui-ci, le but est de tenter de prévoir les événements des mois prochains jusqu’en août 1911. Le concours est ouvert à tous et il faut signaler qu’aucun astrologue et autre voyant ne va manifestement y participer. Il n’y aura, d’ailleurs, aucun gagnant d’après les résultats donnés le 15 août 1911. Encore une fois, pas d’astrologie dans la description alors que les cases des signes astrologiques figurent en enseigne de la publication…

Mais continuons avec l’almanach des coopérateurs de 1928 qui annonce, dans la partie « Oracles et révélations », un horoscope pour chacun des mois de l’année.

Ce dernier consiste cette fois en une brève description des caractères attendus pour les personnes nées ce mois-là selon si elles sont homme ou femme.

    

Pas de prédictions événementielles, donc, pour le mois en cours, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, mais cette fois de l’astrologie de naissance. Etes-vous autant surpris et démunis que je l’ai été il y a un peu plus d’un an face à ces documents ? C’est tout à fait normal, continuons ! Pour 1939, cerise sur le gâteau, les mois et horoscopes de l’almanach des coopérateurs sont regroupés par trimestres. On s’étonnera d’ailleurs que, dans cet almanach, le mois de janvier soit attribué aux Verseaux alors que, astronomiquement parlant, la période de ce signe astrologique ne commence qu’aux alentours du 20. Avec deux tiers des personnes qui ne sont pas concernées par les prédictions qu’on leur fait (mais en seront peut-être satisfaites ?), peut-on encore parler d’erreur ? L’astrologie, ici, n’a pas l’air d’être vraiment un support, elle est plus invoquée qu’utilisée.

Mais voici un autre exemple, plus déroutant encore, celui des « horoscopes mécaniques » ! En 1934, soit bien avant Astroflash et ses portraits astrologiques établis par ordinateur (qui feront beaucoup parler dans les années 60), ils sont proposés à la sortie d’une salle de cinéma. Afin que soit imprimé cet horoscope, il suffisait au préalable de prendre… la photo des lignes de la main ! Cette nouvelle est annoncée dans la Gazette du Nord de Madagascar du 8 septembre 1934 mais aussi comme « oracle mécanique » dans l’Afrique du Nord Illustré du 10 janvier 1931. Moins étonnant : la présence de ces « horoscopes mécaniques » est évoquée en fête foraine dans une nouvelle issue du petit journal Le Pêle-Mêle du 5 juillet 1925.

Mais quel est donc cet horoscope qui ne requiert pas le recours à l’astrologie et renvoie même régulièrement aux lignes de la main ou à des jeux de lettres et même tout autre chose ?!

Avant de proposer une réponse à ces énigmes, j’aimerais évoquer cet article de l’universitaire Arnaud Baubérot Prophéties et prédictions astrologiques dans les almanachs populaires du XIXe siècle paru à l’été 2018 dans la revue de la SERD. L’auteur fait à peu près le même constat en se concentrant sur les almanachs : certaines structures de l’ancienne astrologie ont perdu leurs significations… astrologiques. Un passage de l’article résonne ainsi avec ce que nous venons de voir : « Toutefois, l’association des principales constellations et planètes à différentes parties du corps, aux tempéraments ou à la destinée des individus, fréquente dans les almanachs de la fin du Moyen-Âge et du début de l’Époque moderne, a disparu des publications du XIXe siècle. L’almanach témoignerait ainsi d’un renouvellement partiel des cultures populaires rurales : le zodiaque resterait un répertoire de signes permettant d’appréhender le déroulement du temps et le cycle de la nature à l’échelle d’une année, mais il aurait cessé d’être une clé d’identification des correspondances entre la vie terrestre et le cosmos ». En somme, on a gardé le terme « horoscope » mais on a un peu jeté le bébé astrologie avec l’eau du bain…

Il est temps d’apporter des réponses cette énigme !

Prédictions et conjectures

L’« horoscope » comme simple ensemble de prédictions (avec ou sans astrologie) est la signification qui rend compte de tous les emplois hors figure de naissance et ascendant. Pourquoi est-ce assez contre-intuitif ? Parce que le terme trouve indubitablement ses origines historiques dans l’astrologie ! Mais la période XVIIIe – XIXe siècle est celle pour laquelle on considère que l’astrologie a disparu, au moins des sphères savantes. Certains mots ont donc continué leur vie… sans les astrologues.

Le terme « horoscope » est ainsi utilisé dans toute circonstance qui permet / incite à des anticipations, indépendamment donc de toute astrologie, même pour l’expression « tirer l’horoscope ». Tout à fait commune elle aussi, elle semble renvoyer à l’idée d’un bilan prédictif, d’une synthèse à partir de n’importe quel élément en possession du quidam à un instant t. Ainsi peut-on « tirer l’horoscope » du nouveau gouvernement ou d’une partie de chasse. L’expression consacrée pour tout état des lieux des forces en présence.

Le 2 janvier 1886, Le Matin publie ainsi un article au titre en forme d’autodérision : « prédiction politique ». Dans celui-ci, l’auteur cite « l’horoscope suivant » (formulé deux jours plus tôt par un député de la majorité) : « tout finira par s’arranger, les adversaires d’aujourd’hui seront les alliés de demain ». Aucune prétention astrologique ici, seulement de l’intuition / du flair politique appliqué lors d’une conversation ordinaire. Le 7 octobre 1885, un article toujours tiré du Matin (et intitulé « Equivoques ») commence aussi par ces mots : « on se hâte trop de tirer l’horoscope de la nouvelle Chambre [des députés] ». Encore aucune astrologie dans tout l’article, seulement quelques anticipations sur les relations à entrevoir entre certains groupes de députés et d’autres. Dans le numéro du 18 septembre 1884, on expose aussi les divergences entre réactionnaires et conservateurs : « ils lisaient dans leurs horoscopes l’éternité des Bonapartes, quand nous, démocrates, lisions leur ruine inévitable par la révolution ou par la guerre ».

Encore une fois, on n’a là qu’une anticipation de l’avenir à partir des informations à disposition, des forces en présence. La même signification éclaire donc aussi l’exemple donné plus tôt avec le décès de l’illustre chimiste Dumas. L’expression « tirer l’horoscope » désigne ici le résultat de ce que l’intuition (le flair) de Dumas lui faisait pressentir sur l’avenir de jeunes hommes qu’il rencontrait. Comme peu le faire n’importe quelle personne d’expérience ayant une bonne connaissance du milieu professionnel dans lequel elle évolue. En décelant rapidement une qualité / un défaut qui favoriseront / desserviront un jeune homme s’il ne change pas.

Finalement, on rend compte de tous ces exemples (personnage de Bonaparte, jeu de lettres, horoscopes mécaniques ou concours d’horoscopes de Je sais tout) : le terme « horoscope » correspond littéralement à un ensemble de conjectures établies à partir d’une situation présente, quel que soit le moyen par lequel on les obtient. Un support, l’inspiration, mais aussi la raison ! Ce que confirment les résultats du jeu de Je sais tout, présentés le 15 août 1911 : « Nous avions insisté sur ce point que nous préférions que l’on s’appliquât à résoudre cette immense question [des événements marquants des 6 mois à venir] en déduisant les conséquences logiques ou fatales des événements qui se trouvaient à l’ordre du jour lorsque nous la posions, plutôt que par de simples fantaisies d’imagination ».

Si personne ne nie que le terme « horoscope » est bien originaire du monde astrologique, il s’en était donc largement émancipé, au sein du langage courant, en renvoyant explicitement à une forme générale d’état des lieux d’une situation à un moment donné qui va permettre d’anticiper l’avenir. Façon divination. Qu’en disent, par ailleurs, d’anciens dictionnaires ?

Les Nouveau dictionnaire universel (1756), Dictionnaire universel de la langue françoise (1803) et Dictionnaire abrégé de l’académie française (1836) donnent les définitions usuelles mentionnées encore aujourd’hui par les astrologues (figure de naissance ou ascendant). Mais le Nouveau dictionnaire complet à l’usage des allemands et des français (1826-1828) rapporte l’existence d’un sens figuré. En effet, l’expression « faire l’horoscope d’une affaire » signifie « prévoir, prédire quel en sera le succès », avec comme exemple : « (cette entreprise) n’a pas réussi, j’en avais fait l’horoscope ». Le Dictionnaire universel langue française (1851) explique, quant à lui, que l’expression « faire l’horoscope » est « inusitée ». Dans le Dictionnaire national (1856) on trouve aussi, parmi beaucoup d’autres, la meilleure définition peut-être de ce que nous venons d’observer avec : « Fig. et fam. Ce qu’on prédit par simple conjecture sur le sort de quelqu’un ou sur le résultat de quelque chose. Dresser l’horoscope de quelqu’un, l’horoscope de ce libertin n’est pas difficile à tirer, on peut prédire qu’il finira ses jours à l’hôpital. Cette entreprise n’a pas réussi, j’en avais fait l’horoscope. »

Le Dictionnaire encyclopédique universel contenant tous les mots de la langue française et résumant l’ensemble des connaissances humaines à la fin du XIXe siècle (1894-1898), dirigé par l’astronome Camille Flammarion, relève enfin le même sens figuré et familier : « j’en ai fait l’horoscope » signifie « je l’avais prédit, conjecturé ».

L’impact de la rubrique astrologique sur la signification du terme

Avant les années 30, le terme horoscope est déjà polysémique mais renvoie donc, dans la langue populaire, à un ensemble de conjectures à partir d’une situation et d’un support quelconques. Ces conjectures sont ou donnent lieu à des prédictions dont la nature astrologique est facultative et c’est bien, là, une des (nombreuses) surprises de mon enquête sur l’origine des horoscopes de presse. La signification du terme avait donc échappé aux astrologues et une nouvelle question s’impose maintenant : le retour de l’astrologie au XXe siècle a-t-il permis aux astrologues de se réapproprier le terme « horoscope » ?

Dans les années 30, les horoscopes proprement astrologiques vont donc se répandre et, petit à petit, envahir la presse populaire au point que la signification actuelle (horoscope = rubrique astrologique dans la presse) va apparaître et non revenir. Puis s’installer (probablement après-guerre) : « l’horoscope » finira par désigner une rubrique de presse, qui est astrologique et qui propose des prédictions à base d’astrologie.

Nous allons terminer avec l’usage de l’expression « tirer l’horoscope » et du terme « horoscope » depuis les années 1800. Une recherche sur Google Ngram Viewer (présentation et limites) montre que l’expression « tirer l’horoscope » a connu sa plus grande popularité sur la première moitié du XIXe siècle avant de décroitre inexorablement jusqu’à nos jours. On remarque une petite recrudescence dans les années 30 au moment où on commence à parler de ces astrologues qui « tirent l’horoscope » pour les journaux.

On remarque aussi que deux des trois pics de la première moitié du XIXe siècle coïncident avec des découvertes astronomiques majeures. Celles, successives, des premiers corps (Cérès, Pallas, Junon et Vesta) de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, entre 1801 et 1807, mais aussi celles d’Astrée en 1845, qui fut suivie de la découverte de Neptune en 1846. Mais aucun rapport direct avec l’astrologie, à moins que ces découvertes aient relancé les moqueries à son égard (les astrologues ne les avaient pas anticipées…) ou, à l’inverse, l’imagination des praticiens. Un jour, peut-être, faudra-t-il regarder cela. N’y a-t-il encore que des questions de langages et d’amalgames, même, entre astrologie et astronomie ? De plus, Ngram Viewer ne recense pas la presse mais les livres et, notamment, chaque occurrence qui apparaît dans un même livre : un livre avec cent fois le mot « astrologie » compte autant que cent livres avec une fois ce mot.

Mais si nous lançons maintenant une recherche avec les termes « horoscope » et « horoscopes », l’usage actuel nous permet d’anticiper une évolution différente des usages et c’est bien ce que l’on observe : la forme générale est différente. Si les occurrences restent faibles, le terme voit sa popularité remonter à partir des années 20, tandis que son pluriel attend les années 30. Peut-être qu’une recrudescence de l’astrologie dans les années 20 (ou juste après la fin de la première guerre mondiale) est à distinguer de l’apparition des rubriques de presse à grande échelle qui installeront, elles, le nouvel usage. Parler « des horoscopes » en soi fait peu sens auparavant. On notera enfin que l’usage du terme « horoscope » a, en 2008, à peine retrouvé son niveau du début du XVIIIe siècle. Le pluriel a, au contraire, dépassé le sien.

(les flèches accompagnent la courbe bleue)

Pour mettre ces courbes en perspective, Ngram nous permet de comparer les proportions d’occurrences des termes astrologie, astrologue, horoscope, ainsi que de l’expression tirer l’horoscope.

Les incroyables concours de circonstances qui ont permis à l’astrologie d’intégrer la presse Anglaise sont à découvrir par ici : Une princesse, un crash, des morts, la naissance des horoscopes de presse.