Suite à ma conférence « Astrologie et astronomie dans la saga Harry Potter : J.K. Rowling a-t-elle pratiqué l’astrologie ? » donnée le 9 février dernier au Play Azur Festival de Nice, j’ai été contacté par Loan Tan, du blog d’Air & d’Encre. Intéressé par le contenu de mon intervention, il souhaitait le partager avec ses lecteurs, lesquels ont déjà pu découvrir les coulisses des studios Harry Potter ou explorer Londres à la recherche des lieux de tournages de la saga (je vous y encourage).
J’ai donc accepté de répondre à ses questions et, leur contenu dépassant le cadre de la conférence, nous avons décidé de partager les réponses entre nos deux sites internet.
Astrologie et astronomie dans la saga Harry Potter :
- 1/5 Introduction à la zététique
(version longue / version raccourcie) - 2/5 Introduction à l’astronomie et à l’astrologie
(version longue, version raccourcie) - 3/5 L’astronomie dans Harry Potter
(article / compléments) - 4/5 L’astrologie dans Harry Potter
(début / fin) - 5/5 J.K. Rowling a-t-elle pratiqué l’astrologie ?
(début / fin)
1/5 : Introduction à la zététique
Une version raccourcie de ce texte est donc publiée sur d’Air & d’Encre, si vous en venez, les passages que vous avez déjà lus sont signalés ici par un retrait de ligne.
Loan Tan : Pouvez-vous nous présenter Astrospect ?
Bonjour Loan et tout d’abord merci pour votre invitation suite à la conférence que j’ai donnée au PlayAzur Festival 2019, accompagné d’Arnaud (Thiry, d’Astronogeek) !
Astroscept c’est à la fois un blog et un compte Youtube sur lequel je place pour l’instant mes chroniques radios et mes conférences sur des questions touchant à l’analyse critique de l’astrologie et au scepticisme scientifique. Je ne désespère pas, un jour, d’y proposer de vraies vidéos, notamment sur l’histoire de l’astronomie.
Mais pourquoi s’en prendre autant à l’astrologie (me demande-t-on souvent) ? Contrairement aux apparences, je ne m’attaque pas à l’astrologie, je la déconstruis en lui appliquant les outils de l’esprit critique, mais pas que. Quelle est la différence ? L’intention : si cela fait mal ce n’est pas parce que je cherche à faire mal.
Mon travail oblige à poser des questions adultes à une astrologie qui en élude bien trop,
ce qui n’est pas de ma responsabilité. De plus, mon parcours personnel et ma formation intellectuelle font que mon approche innove. Je donne des cours particuliers de mathématiques et
suis titulaire d’un master en histoire et philosophie des sciences pendant lequel j’ai travaillé sur l’histoire de l’astronomie. Mais, surtout, j’ai été membre actif pendant des années du bureau de la FDAF, la… Fédération Des Astrologues Francophones ! C’est donc en tant qu’ex-tenant de l’astrologie que je travaille aujourd’hui à sa déconstruction. Et cela fait toute la différence.
En effet, j’apporte à la communauté sceptique des compétences techniques qu’elle n’a pas. L’examen de l’astrologie permet de s’initier à la pensée critique.
Mais j’apporte aussi le plaisir de travailler sur un sujet dont je sais qu’il est sans fin, très complexe et (paradoxalement pour moi) sans intérêt pour la plupart des gens. Mais je travaille sur l’astrologie comme un historien travaillerait sur, je ne sais pas, l’alchimie du XIIe siècle, l’astronomie dans l’Antiquité ou que sais-je ? Par exemple, récemment, j’ai travaillé sur l’origine des horoscopes de presse dans la fin des années 30 et la conférence postée sur Youtube démontre à quel point c’est surprenant et intéressant.
Au fond, ce qui m’intéresse le plus, maintenant, c’est de rendre compte de comment et pourquoi les astrologues peuvent encore croire en l’astrologie malgré les innombrables contradictions, échecs, arguments critiques, mais surtout explications alternatives qui existent. On rend très bien compte de certains succès de l’astrologie sans avoir besoin d’envisager qu’elle puisse correspondre à une quelconque réalité.
Loan Tan : Comment la vie vous a-t-elle amené vers l’astrologie ?
Je suis tombé dans l’astrologie vers l’âge de vingt ans à la suite d’un moment de vie très douloureux pour moi mais tout à fait ordinaire, finalement, dans la vie d’un homme : la fin brutale de mon premier grand amour. Le sceptique que je suis aujourd’hui dirait que j’étais encore bien désarmé pour faire face à un monde qui n’est pas juste et dans lequel le hasard est omniprésent.
Omniprésent et souvent quantifiable, en plus.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser vraiment à tout ce qui touchait à la voyance, la numérologie, le tarot, les coïncidences et, donc, l’astrologie.
Je peux dire aujourd’hui que je m’étais perdu dans une démarche plaçant la question du sens avant celles des faits et des méthodes. Contrairement à ce que je pensais alors (confondant spéculation créative et recherche méthodique), j’étais surtout inculte en matière de fonctionnements de l’esprit humain.
Le plus étonnant est que j’étais alors étudiant en DEUG de mathématiques et que j’ai donc commencé à monter mes premiers thèmes astraux sur les bancs de la fac de sciences !
Plus tard, j’ai bifurqué et me suis lancé en philosophie jusqu’à mon Master 2. C’est là que j’ai commencé à remettre l’autorité de mes croyances en question et comprendre, notamment, que des centaines ou des milliers de systèmes philosophiques ou spirituels avaient précédé les nôtres. Et qu’ils étaient bien différents. Autrement dit, en perdant leur unicité, mes évidences perdaient leur… évidence ! C’est pendant ce cursus de philosophie que je suis entré en contact avec les astrologues et me suis dit (sans me rendre compte dans quoi je m’embarquais) : il faut faire du ménage et prouver une bonne fois pour toutes l’astrologie !
Paradoxalement, c’est en tentant vainement d’y réussir que j’ai dû me heurter à la critique sceptique.
Loan Tan : Comment êtes-vous devenu sceptique ?
J’avais commencé à lister tous les arguments sceptiques dès ma première année en philosophie. Je voulais faire comme Descartes : tout reprendre à zéro et faire le tri entre le bon grain et l’ivraie de l’astrologie.
Pour cela, j’avais compris que, pour être un peu sérieux, il faut s’attaquer aux arguments principaux de ce que l’on conteste. Aujourd’hui, je dirais qu’on m’avait appris à éviter de m’attaquer à des hommes de pailles (ou épouvantails), c’est-à-dire contester les arguments les plus aisés mais qui ne sont pas représentatifs.
Je m’y suis donc attelé un temps et ai constaté que je ne pouvais pas répondre à tous les arguments critiques.
Mais, en répondant à certains d’entre eux, j’en ai produit des nouveaux (non formulés par les sceptiques) à opposer à l’astrologie traditionnelle, j’ai ainsi commencé mon « autocritique » de l’astrologie. A force de mettre des choses de côté et développer une critique qui se voulait plus complète (car plus technique) que la critique sceptique. Au bout de dix années, j’en suis venu à la conclusion que je n’avais plus rien à garder de l’astrologie. J’ai donc arrêté de la pratiquer.
Mon master en histoire et philosophie des sciences (2006) m’a fait gagner en exigences et compétences, j’entamais de nombreux travaux sur l’astrologie et son histoire. Mais ce fut au prix d’un burnout (2011) découlant du fait que 1) j’avais ouvert tellement de pistes de travail que je m’y suis noyé et 2) j’ai trop produit : en cinq ans, près de 150 articles ou dossiers critiques + 8 manuscrits entamés + un livre terminé que je n’ai pas réussi à faire éditer. Le tout sans véritable reconnaissance, surtout chez les astrologues, mais (message paradoxal) 8 propositions différentes de thèses de doctorat. Sans financement.
Ce fut un moment très difficile pour moi car ma santé était atteinte. Au bout d’un ou deux ans après lesquels j’avais perdu presque tous mes repères, le hasard a fait que j’ai rencontré des membres de l’association Observatoire Zététique, avec lesquels j’avais eu auparavant des échanges un peu houleux. A ma très grande surprise, ils m’ont expliqué qu’ils trouvaient très intéressante une partie de mon travail (!) : la critique de la critique. Ce fut un nouveau départ pour moi.
Loan Tan : Qu’est-ce que la zététique ?
La meilleure définition de la zététique est « l’art du doute », autrement dit la connaissance et l’utilisation des outils d’une méthode éprouvée dans l’analyse de l’information (ses affirmations, argumentations, preuves, certitudes, etc.). Elle a été introduite auprès d’étudiants dans les années 80, par le physicien Henri Broch, notamment parce qu’ils étaient en majorité convaincus que la relativité d’Einstein relevait plus de l’hypothèse que le pouvoir de tordre des cuillères par la force de l’esprit, qui aurait été prouvé. Oui oui, vous avez bien lu ! Henri Broch connaissait déjà bien le scepticisme scientifique et a choisi d’en appliquer les méthodes à des sujets en apparence impropres à son utilisation, mais aussi très ludiques : les phénomènes paranormaux.
Nombre de superstitions communes subsistent parce que l’on manque d’outils critiques pour s’en faire un avis éclairé, c’est-à-dire tenant compte aussi des contradictions.
Mais il y a un aspect pédagogique à ce choix : l’esprit résiste quand on s’attaque à ses croyances, ce pourquoi l’application à des phénomènes paranormaux souvent anodins permet de mieux appréhender les outils de l’esprit critique sans se sentir agressé. D’en saisir plus sereinement la pertinence :
nous sommes moins engagés et, en zététique, il y a toujours enquête, mystère et solution aux énigmes ! Il y a enfin une motivation citoyenne à ce choix : combien de milliers de personnes se font tromper chaque jour par des charlatans ou, c’est peut-être pire, par des personnes sincères mais non méthodiques qui ne se rendent pas compte des pertes de temps, voire des dégâts, qu’elles occasionnent ?
On s’initie à la zététique en prenant connaissance des résultats de ses travaux puis, dans un second temps, en appliquant ses outils à nous-mêmes. Actuellement, la zététique prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux
parce que le complotisme et (plus récemment), les fake news, ont montré à quel point elle peut être utile pour éclairer notre jugement.
Il y a réellement un avant et un après Bataclan + élection de Donald Trump + débunkages en série du documentaire « La révélation des pyramides ». La zététique profite aussi du développement de plateformes comme Youtube où des chaînes dont La Tronche en Biais, Hygiène Mentale, Mycéliums, Mr Sam, le Débunker des étoiles, voire Defakator (qui ne se revendique pas officiellement de la zététique) ou la mienne Astroscept, proposent de nombreuses vidéos de qualité.
Mieux encore, on y trouve les enseignements universitaires de Richard Monvoisin à l’université de Grenoble : ses cours d’initiation à la zététique sont de purs moments de bonheur, ils sont aussi très accessibles.
Pour en revenir à mon parcours, je me suis pris au jeu de la zététique parce que, de mon côté, j’avais déjà construit une démarche critique de l’astrologie. Tout cela me semblait donc familier. Mais je ne maitrisais pas vraiment les outils de la zététique et c’est avec la Tronche en Biais que j’ai commencé à comprendre la question des biais cognitifs. C’est-à-dire les erreurs que nous commettons sans nous en rendre compte et les NOMBREUSES conséquences que cela génère dans la pratique quotidienne, par exemple, de l’astrologie.
Loan Tan : L’erreur est souvent faite entre astrologie et astronomie. En quoi consiste chaque discipline ? Comment sont-elles liées ?
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