Dans la première partie de ce dossier, nous nous sommes attachés à définir les limites a priori de nos conclusions et remettre en contexte la réception du Baromètre Voltaire® 2019 (lien vers le fichier pdf). Nous avons aussi soulevé quelques questions posées par les ambitions qui sont les siennes depuis sa création, à savoir renseigner sur « le lien réel des Français à l’orthographe », notamment sa représentativité. Nous avons discuté ensuite les surprenants graphiques proposés pour représenter ses résultats statistiques. Nous avons terminé sur un étrange appel à la popularité des signes astrologiques comme semblant de justification de l’intérêt du résultat proposé par le Baromètre.
Sommaire complet
PARTIE 2
Cherry picking et appel à l’autorité
Déformation (encore) des données
Corrélation et causalité
Fake news et incitation à mal raisonner
Expertise et champ de compétences
Conclusion
PARTIE 1 (cliquez ici)
Avertissements
La diffusion du Baromètre Voltaire® 2019
Biais de sélection et représentativité des résultats
La déformation des données
Appel à la popularité et stéréotypes
Cherry picking et appel à l’autorité
Continuons avec la page 26 du Baromètre Voltaire® 2019 qui cite la source dans laquelle a été trouvée l’affirmation des « 46% d’entre nous [qui] croient en l’influence du signe astrologique sur le caractère » pour légitimer l’intérêt du classement par signes astrologiques.
On appelle cherry picking (ou cueillette de cerises lien) l’erreur qui consiste à citer, après une recherche, les propos qui vont dans notre sens tout en omettant totalement ceux qui les contredisent. Quand vous cueillez des cerises, vous sélectionnez les meilleures et il ne vous viendrait pas d’affirmer ensuite que le cerisier ne proposait que des bonnes cerises. Or, l’article de Cerveau&Psycho (lien) rédigé par le professeur de psychologie cognitive Alain Lieury, est riche d’informations plus solides. On y lit notamment que
« Plusieurs équipes de chercheurs ont bien montré qu’il n’existe aucun lien entre les tests de personnalité et la période de naissance. Et leurs études ont parfois porté sur 15 000 personnes interrogées ! (…) les recherches réalisées là encore sur des milliers de cas montrent que les vrais jumeaux se ressemblent sur le plan de la personnalité (avec des coefficients de corrélation allant de 0,4 à 0,5 selon les traits de personnalité, sachant que la corrélation totale est de 1 et désignerait une identité parfaite des personnalités) alors que les faux jumeaux ne se ressemblent quasiment pas (coefficients de corrélation compris entre 0,1 et 0,2), le hasard pur produisant une corrélation nulle. Ce ne sont pas les étoiles qui prédisent la personnalité, mais l’hérédité et l’environnement ».
Autrement dit, même si la date de naissance a ou aurait une influence sur le développement de la personnalité d’un individu, elle est insuffisante pour que, une fois les personnes placées dans des environnements différents, elle conduise à des personnalités qui se ressemblent. Pourquoi le Baromètre Voltaire® tient-il alors absolument à mettre en avant la partie de l’article évoquant la popularité du critère astrologique tout en omettant celle qui réfute sa pertinence ? Le paramètre communication semble légitimer ce choix, via le double prestige conféré par la référence. Les « 46% des Français » qui partagent une croyance donnent un poids affectif aux signes astrologiques et « Cerveau&Psycho » donne une autorité à cette croyance, comme si elle était confirmée par la science. C’est un véritable appel à l’autorité (lien CORTECS) de la revue (pour ceux qui lui accordent cette autorité, en tout cas) qui pose tout de même un énorme problème : elle laisse croire que Cerveau&Psycho valide quelque chose dans cette affirmation alors que nous venons de voir que c’est tout le contraire. L’origine de l’affirmation des 46% est TNS Sofres, par Cerveau&Psycho. Aucune autorité ne soutient donc, ici, la croyance populaire dans les signes astrologiques : le résultat du Baromètre Voltaire® 2019 ne tient pas car ce n’est que du cherry picking.
Déformation (encore) des données
Si la page 25 du Baromètre Voltaire® nous présentait les résultats du Certificat Voltaire en « maitrise de l’orthographe et de la grammaire » pour les 15-25 ans, la page 29 focalise maintenant sur l’orthographe uniquement mais de tous ses utilisateurs (âgés de 15 à 99 ans). Les résultats selon les signes astrologiques, encore une fois, ne sont pas présentés comme moins dignes d’intérêt que ceux classés selon l’âge, la région de résidence, la pratique du solfège, etc. On ne nous explique pas, non plus, pourquoi les résultats en grammaire ne sont plus donnés, on affirme par contre une sorte de continuité dans les résultats :
« nous avons examiné l’influence de la date de naissance sur le niveau (…) » (page 29)
alors qu’il n’y rien de vrai dans l’astrologie. Vous en doutez ? J’ai développé longuement la question dans cette conférence : L’astrologie et la science, y a-t-il du vrai ?
De nouveaux histogrammes nous sont aussi proposés, classant cette fois les résultats généraux au Certificat Voltaire et, encore, en fonction du signe astrologique, mais aussi selon le genre. Et de nouveaux écarts apparaissent :
Les interprétations sont encore une fois assez étranges puisque, toujours selon la page 29, il y a bien
« une influence de la date de naissance sur le niveau en orthographe. (…) Les deux sexes réunis, ce sont les natifs du Lion qui remportent la palme avec 569 points en moyenne au Certificat Voltaire cette année. Suivent les natifs du Cancer, talonnés de près par les Gémeaux et les Vierge, ex aequo »
Pourtant, ce paragraphe est immédiatement contredit par le suivant, puisque
« (…) à y regarder de plus près, chez les femmes, ce sont les Lion, Vierge et Cancer qui dominent par leur score en orthographe au Certificat Voltaire, tandis que les hommes, ce sont plutôt les Gémeaux, Taureau et Cancer qui réunissent les meilleurs, très loin derrière le score du sexe opposé toutefois ! »
Autrement dit, si votre date de naissance vous place par exemple dans le signe du Lion « alors » vous êtes fort en orthographe (mais seulement si vous êtes une fille) ET vous êtes mauvais en orthographe (mais seulement si vous êtes un garçon). Comme l’exemple des jumeaux donné plus haut, ce n’est pas « la date de naissance », donc « le signe astrologique » qui, ici, rend le mieux compte de ces résultats. On aurait aussi pu envisager un classement selon l’année ou la décennie de naissance, les résultats variant sûrement de l’une à l’autre !
Pire, les résultats présentés maintenant ne sont même pas du tout en adéquation avec ceux donnés à la page 25 pour l’orthographe et la grammaire. Concrètement, puisque le Baromètre Voltaire® prétend plusieurs fois examiner « l’influence de la date de naissance » et non les répartitions qui pourraient varier aléatoirement d’une mesure à une autre, voici le genre d’interprétation concurrente que l’on peut retirer de ses histogrammes : d’après la page 25, les Capricorne sont meilleurs en orthographe et grammaire que les Vierge ET, d’après la page 29, les Vierge sont meilleurs en orthographe que les Capricorne. A vous d’en inférer ce que vous voulez, par exemple que les Capricornes sont meilleurs en grammaire que les Vierge, si vous voulez ! En effet, « l’influence de la date de naissance », ici le signe astrologique, ne doit PAS dépendre de l’âge, ou alors c’est toute la description astrologique générale qu’il faut rejeter. Tiens, une idée à proposer à Projet Voltaire pour le prochain Baromètre.
Mais il y a encore pire (si si, c’est possible) car les figures de la page 29 se ressemblent énormément, ce qui, aussi, doit attirer le regard. L’histogramme du haut (pour les deux sexes) a, à peu de choses près, la forme de l’histogramme du bas (pour le sexe féminin). Tout se passe, en fait, comme si les femmes étaient, ici, surreprésentées par rapport aux hommes. En l’absence de données brutes, il est pourtant possible d’évaluer les proportions, ici présentes, des individus des deux sexes. En effet, pour chaque signe astrologique, nous avons les scores moyens de chaque sexe mais aussi celui de l’ensemble du groupe. C’est l’instant équations !
Si nous appelons « x » la proportion des femmes et « y » celle des hommes, alors x + y = 1 et il nous suffit de résoudre (naguère comme en 3e, aujourd’hui plutôt comme en 2nde, et encore…) un système de deux équations où l’on intègre les données du signe astrologique que l’on veut. On peut alors déduire, par le calcul, les proportions supposées. Exemple avec les Poissons puis avec les Lions pour assurer le résultat avec les données d’un autre signe astrologique (oui, en théorie il faudrait le faire douze fois…).
Les deux résultats sont identiques : le second histogramme de la page 29 doit être construit avec environ 58% de femmes et 42% d’hommes. Les femmes sont donc surreprésentées par rapport aux hommes, comme on s’y attendait, le premier histogramme fausse donc la conclusion qui découle du second. Si vous êtes un homme alors, quel que soit votre signe astrologique de naissance, vous êtes en moyenne moins bon en orthographe qu’une femme, quel que soit son signe astrologique ! En résumé, « les » dates de naissance classées selon les signes astrologiques, encore une fois, ne rendent pas compte des aptitudes en orthographe des utilisateurs du Projet Voltaire. Tout cela est à la limite du burlesque.
Corrélation et causalité
Si les résultats avaient été donnés selon la couleur des yeux, la taille de l’index ou même la pointure, on aurait tout autant pu en tirer des classements. Auriez-vous pour autant conclu à une influence ? Non. C’est pourquoi il faut être très attentif à ne pas confondre un lien de corrélation avec un lien de causalité. Illustrons cela.
Les résultats ci-dessus présentent une régularité saisonnière ? Certes, mais ce n’est pas une raison pour envisager un lien avec l’astrologie car ce n’est tout simplement pas la première fois que cela arrive.

L’effet de l’âge relatif : lien.
Cela peut paraître contre-intuitif, pourtant il y a aussi des irrégularités saisonnières parmi les naissances des sportifs professionnels, comme je l’explique dans cette chronique radio, sans besoin d’explication astrologique :
L’explication est seulement calendaire : y a-t-il une différence ? Hé bien oui ! Le choix des catégories de dates de naissances pour classer les individus (licences sportives, par exemple, qui commencent au 1er janvier), crée des inégalités d’âges qu’on observe jusque chez les sportifs professionnels. En effet, ceux de début d’année ont plus souvent un avantage physique sur les autres au plus jeune âge, ce qui favorise très tôt, dans le parcours sportif, les signes astrologiques justement de début d’année calendaire (Capricornes, Verseaux, Poissons). Il y a donc une corrélation avec les signes astrologiques mais PAS parce qu’il y aurait une influence astrologique (causalité directe ou indirecte). C’est seulement que les signes astrologiques sont définis selon le calendrier, lequel devient le lien commun entre les deux catégories licences sportives / signes astrologiques parce qu’il les définit tous les deux.
Les deux catégories sont donc corrélées parce qu’elles ont une cause commune, pas parce que l’une implique l’autre. Il y a corrélation mais pas causalité, ce qu’on décrit parfois comme « l’effet cigogne » (lien CORTECS : Corrélation vs causalité).
Pour aller plus loin, du fait de l’énorme biais de sélection de départ, il est difficile d’attendre autre chose du Baromètre Voltaire® que des corrélations. Si la classe sociale a une influence tant sur certains choix musicaux (mais pas tous), le niveau en orthographe, l’initiation au solfège, etc., puisque l’échantillon du Baromètre Voltaire® n’est pas du tout représentatif de la population française, tout s’explique. Il n’est pas plus étonnant de trouver des corrélations dans les résultats que de voir une répartition disparate des signes astrologiques chez les sportifs professionnels. Mieux, l’échantillon variant d’une année à l’autre, on peut même prédire des résultats changeant au fil des années et comprendre pourquoi les coordinateurs du Baromètre seront toujours incapables de prédire leurs propres résultats.
Tout cela devrait quand même alerter les rédacteurs du rapport et, au moins, les inciter à ne plus présenter leur Baromètre comme ils ont pris l’habitude de le faire. Pour les millions d’utilisateurs qu’ils représentent, d’une certaine manière, ce n’est pas sérieux. C’est même assez décrédibilisant : combien risquent de s’entendre dire « alors, tu fais de l’astrologie dans ta formation Projet Voltaire ? » même si c’est faux. Cela amène à ce genre de réaction (lien) devant (en deux jours seulement) 70.000 spectateurs et, parmi lesquels, combien d’influenceurs ?
Sans parler de l’image donnée par de tels commentaires publics sur le site internet du Projet Voltaire :

Commentaire sous la présentation du Baromètre Voltaire 2019 : lien.
Eventuellement, que le Projet Voltaire respecte un peu les règles de la statistique ou se rapproche de statisticiens professionnels (ce que je ne suis même pas…) afin de voir ce qu’ils peuvent, ou non, tirer de sa base de données ?
Fake news et incitation à mal raisonner
Bon en orthographe grâce à votre signe astrologique ? Le Journal de Saône et Loire titre, certes, sur les résultats astrologiques mais ne les rapporte finalement qu’en fin d’article. Et en ne sachant visiblement pas trop quoi en faire :
Finalement, les résultats en lien avec les signes astrologiques sont suffisamment grotesques pour ne pas avoir été rapportés systématiquement par les uns et par les autres. Comme on l’a vu, le Baromètre Voltaire® regorge d’erreurs de traitement et d’interprétation de ses propres données, et encore… Je me suis limité à quelques pages du document mais le regard complémentaire de Linguisticae montre qu’il y aurait encore bien plus à dire. Rappel :
Comment ces erreurs deviennent-elles contagieuses à grande échelle ? Il suffit qu’elles soient reproduites sur des canaux à grande diffusion et qu’elles soient acceptées et intégrées par des esprits non avertis. Ils répéteront alors ces résultats et reproduiront probablement les mêmes erreurs de raisonnement, qu’ils pourront appliquer plus tard à d’autre sujets. Diffuser de telles fausses informations à des conséquences à grande échelle qui se mesurent difficilement mais on peut être certain d’une chose. Puisque c’est la méthode de décryptage qui manque à certains professionnels, il n’y a pas de raison qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs sur d’autres sujets : il faut donc considérer la diffusion du Baromètre Voltaire® comme l’indice de défauts plus profonds chez ceux qui ont diffusé ses résultats. A moins que l’information fausse soit diffusée en toute connaissance de cause, exactement comme les horoscopes, en fait : un contenu qui va provoquer du clic et ne fera de mal à personne. D’ailleurs,

Commentaire sous la présentation du Baromètre Voltaire 2019 : lien.
C’est oublier bien vite les dérives de l’utilisation de l’astrologie dans le cadre du recrutement professionnel
C’est oublier aussi toutes les personnes qui, sur le plan professionnel, ont besoin de connaître le signe astrologique de leurs collègues pour partir d’un a priori… arbitraire ! Sur le plan amoureux, combien font des tris d’office selon le signe astrologique ? Dire que le signe astrologique n’est pas stigmatisant, c’est, en fait, fermer les yeux sur une stigmatisation ordinaire. Exemple quand quelqu’un proteste parce qu’on ne veut pas lui donner notre signe astrologique :
Sur un plan plus médiatique, j’ai contesté l’idée de la non nocivité des horoscopes dans une tribune publiée par Le Monde : Vos 12 fake news quotidiennes, les horoscopes !
« Fake news », voilà qui est dit : diffuser des informations que l’on sait fausses mais en privilégiant le fait qu’elles nous servent, ce qui n’est pas nouveau. Voire même, en abusant de l’appel à l’émotion (humour, compassion, joie, etc.) en les appuyant de certains paralogismes ou sophismes. Dans tous les cas, on est ici en présence d’une diffusion d’informations au pluriel qui sont toutes absolument erronées et même, souvent, contradictoires. Avec l’aide du Chat Sceptique, Linguisticae souligne d’ailleurs très bien ce qu’il y a de problématique dans les résultats pour la musique. Premier chez les hommes mais 23e chez les femmes (en page 6), le Funk est présenté comme 7e au total (en page 4). Que faire de ce classement qui, comme les signes astrologiques, reflète surtout une surreprésentation des femmes dans les réponses ? 151 contre 92 hommes, c’est parce qu’elles constituent 62 % des répondant, soit presque les deux tiers, qu’elles plombent la première place du Funk chez les hommes.
Si les résultats astrologiques du Baromètre ont été très peu reproduits heureusement, le reportage de BFMTV reste un modèle de recherche de confirmation de ce qui est affirmé dans le Baromètre : on ne rapporte pas une information analysée ou décryptée, on la met en image en l’illustrant de deux témoignages bien choisis et le commentaire d’un responsable de l’étude. Mais digiSchool remporte peut-être la palme du report d’information à l’identique : tout est rapporté littéralement dans l’article Baromètre Voltaire® : et toi, es-tu bon en orthographe ?
Il n’est pas évident de justifier une corrélation sans cause, c’est pourquoi on peut se perdre en recherche d’explications forcément potentielles… puisqu’elles n’existent pas. Mais, et c’est là un lieu commun de la désinformation, les interprétations erronées ne sont pas seulement diffusées, elles sont souvent elles-mêmes réinterprétées par ceux qui les diffusent : à partir de là, il n’y a pas de limite, sinon le contexte de celui qui diffuse. Un peu comme avec l’astrologie (des horoscopes ou de la consultation), dès lors qu’on a le sentiment d’avoir mis à jour une causalité, on a l’impression qu’il suffit de mettre en place les bonnes stratégies pour « la » contrecarrer. Le Baromètre Voltaire® suggère ainsi, quelque part, à BFMTV de titrer son reportage « Dis-moi ce que tu écoutes, et je te dirai comment tu écris » et à LCI de formuler ce conseil de bon sens : « Dernière règle à suivre, si on veut rester un champion de l’orthographe, il ne faut pas devenir trop populaire ».
C’est ce qu’on peut appeler la sur-rationalisation du réel : ce qui se produit ici avec BFMTV et LCI est ce qui se passe aussi avec l’astrologie. Complètement déconnectée du réel, elle ne permet pas de le modéliser, elle permet par contre de le rationaliser (trop) sérieusement. C’est peut-être contre-intuitif mais suivre des conseils strictement astrologiques revient à sur-rationaliser son réel. C’est-à-dire à essayer de le faire plier, lui imposer des contraintes, des règles, quand bien même elles seraient imaginaires
Mais cette remarque n’est pas propre à l’astrologie : elle est extensible à toutes les divinations et, plus largement encore, à toute causalité qui n’existe pas mais… qui va nous influencer quand même. En somme, suivre des conseils fondés sur du vent c’est donner libre cours aux plus mauvais aspects d’une pensée magique apte à occuper très vite tout l’espace et bien au-delà des questions purement ésotériques. Concrètement, d’après Le Figaro : « Les adolescents sont nuls en français, ils ne lisent plus, leur usage des réseaux sociaux les abêtit… Laissez tous ces préjugés derrière vous. Car d’après le dernier Baromètre Voltaire, ils sont tous faux ». Peut-être, mais quel est l’intérêt de remplacer des préjugés par d’autres préjugés plus solides puisque « présentés statistiquement » (intimidation mathématique, lien) ? Quand une telle situation se produit, les nouveaux préjugés seront plus difficiles à déconstruire que ceux qu’ils ont remplacé, un comble ! Mais un lieu commun avec l’astrologie dont la complexité technique a de tout temps fait le prestige face aux autres divinations. Cela donnait, en quelques sortes, le sentiment d’une astronomie pour les hommes, argument convaincant mais erroné, comme je le montrais récemment, à Rennes. L’astrologie peut être mathématiquement intimidante mais, heureusement, il y a possibilité de retourner l’argument : cliquer ici.
Expertise et champ de compétences
Force est de constater, pour terminer, que les erreurs présentes dans ce document posent la question de la compétence des personnes qui ont participé à sa rédaction.
On pourrait se poser aussi la question de l’honnêteté des concepteurs du baromètre mais je pense qu’il faut éviter d’entrer dans cette spirale suspicieuse. En effet, non seulement il est trop aisé d’attribuer de mauvaises intentions à des personnes, ce qu’en psychologie sociale on appelle le Biais fondamental d’attribution et qui consiste toujours en une asymétrie de jugement sur les motivations des gens. « On juge les autres sur ce qu’on voit d’eux, donc leurs actions, mais on se juge nous-mêmes sur nos intentions », comme le dit Albert Moukheiber (docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien) : j’ai accès à ma vie psychique, donc à ma rationalisation des choses, mais pas spontanément à la vie psychique de l’autre. Ci-dessous à 44min24s :
Mais les erreurs présentes dans le document sont tellement grossières qu’il est plus légitime de penser à des problèmes de compétences. En effet, les limites de l’expertise constituent un piège dans lequel tombent régulièrement des experts de toutes sortes (même scientifiques) et dont il est toujours utile de rappeler l’existence :
« Des travaux en psychologie de l’expertise conduisent à montrer que les experts ne sont que rarement en capacité de transférer leurs stratégies expertes d’un domaine à un autre, et qu’ils semblent perdre toute supériorité cognitive dans les domaines qui sont éloignés de leur champ de compétence, où ils commettent les mêmes erreurs que des novices »
(lien Comment former à l’esprit critique ?).
Or, dans la présentation du Baromètre Voltaire®, louanges sont justement faites, en page 2, à
« M. Bruno Dewaele, professeur agrégé de lettres modernes et champion du monde d’orthographe. Cet « aréopage » est chargé, notamment, de rédiger les questions qui seront soumises aux utilisateurs du programme d’entraînement et aux candidats aux épreuves du Certificat Voltaire, comme de garantir la justesse des corrections et des explications ».
Si rien ne permet de dire que M. Dewaele est responsable du choix d’intégrer les interprétations astrologiques au dernier Baromètre ou qu’il est l’auteur des interprétations statistiques, le peu d’informations en notre possession laisse à craindre un nouvel appel à l’autorité (lien CORTECS). En effet, si M. Dewaele est bien responsable de tout le contenu de ce document, nul ne remettra en cause ses compétences tant en lettres modernes qu’en orthographe. Mais l’expertise dans un domaine n’assurant pas automatiquement une expertise dans un autre domaine, d’autant plus s’il en est éloigné, la compétence en statistiques n’est pas assurée.
Mais dans le reportage de BFMTV, nous apprenons en fait que Pascal Hostachy aurait coordonné l’étude. Surprenant puisque son nom ne figure pas dans le document du Baromètre Voltaire®. Nos remarques s’appliquent-elles encore ? Arrêt sur images s’est justement posé la question et est allé consulter son profil LinkedIn : il « a un profil de start-upper et non de spécialiste de l’éducation ». Pascal Hostachy y revendique des compétence en informatique mais la compétence en statistiques parait quand même loin de ces compétences-là. Cela confirme donc l’idée, sans l’assurer toutefois (ce qui est peut-être mieux !) qu’il y a un problème, ici, de transfert de champs de compétences.
Conclusion
En conclusion, il est évidemment bien difficile de conclure à une influence des signes astrologiques sur les compétences de chacun en orthographe et / ou en grammaire, les résultats se contredisant d’un sexe à l’autre mais aussi d’une classe d’âge à une autre. De plus, l’interprétation des données est d’autant plus sujette à caution que les représentations graphiques amplifient des résultats qui n’ont pas l’air significatifs. Enfin, la référence à la seule source donnée (Cerveau&Psycho) en retire une information, qui arrange, tout en oubliant une autre information qui réfute la pertinence de la première.
Cette opération de communication annuelle pour l’entreprise Projet Voltaire, qu’est son Baromètre, ne doit donc pas faire oublier que l’astrologie échoue encore et encore aux tests, ce en quoi il n’est jamais naturel de lancer innocemment « une nouvelle étude sur les signes astrologiques ». Cela montre surtout une méconnaissance du fait qu’une étude positive ne contredit pas celles qui l’ont précédées sans l’exigence, au moins, de précautions méthodologiques. A moins que cela démontre un désintérêt total pour la portée réel du résultat statistique : si l’objectif est de communiquer, les stéréotypes astrologiques sont seulement instrumentalisés à des fins intéressées.
C’est ce que laisse penser la légèreté des interprétations qu’on croise dans le Baromètre mais aussi cette petite phrase glissée deux fois dans le document et qui montre à quel point les enjeux philosophiques (et, éventuellement, scientifiques) derrière la question d’une « influence des signes astrologiques » ne sont pas du tout assumés par les auteurs du document :
« Une chose est sûre, en tout cas : les lacunes en orthographe n’ont rien d’une fatalité, et les 5 millions d’utilisateurs du Projet Voltaire sont là pour en témoigner » (pages 26 et 30).
La présentation des résultats incite malheureusement à penser que (parmi d’autres, aussi tranchés) les hommes du signe du Lion sont fatalement moins bons en orthographe, en moyenne, que les femmes du même signe. D’ailleurs, comment le savoir en l’absence des progressions moyennes des individus après entraînement au Certificat Voltaire, par exemple selon leurs signes astrologiques ?
De plus, selon le message que l’on souhaite faire passer, et au-delà de la partie astrologie, les histogrammes sont présentés tantôt comme des podiums (données qui varient d’une année à l’autre), tantôt comme la description « du rapport des français à l’orthographe ». Pourtant, non seulement il n’y a pas toujours de quoi interpréter les résultats mais les variations d’une année à l’autre montrent aussi que ces données ne parlent PAS « des Français ». A cause d’un échantillon très mal constitué (proportions et origines sociogéographiques des individus), le Baromètre Voltaire® 2019 renseigne seulement sur le profil de certains utilisateurs des services proposés par l’entreprise Projet Voltaire.
Voilà qui pose donc problème quand les médias diffusent telle quelle cette « information » qui n’est pas ce qu’elle prétend être et remplit certains critères appliqués aux fake news. On n’insistera jamais assez sur l’intérêt d’aller vérifier les sources d’un écrit qui va à l’encontre de la connaissance acquise. Cela demande du temps mais, sauf exception dont les spécialistes du domaine décideront, vous changerez d’avis sur la pertinence de l’information initiale. Il était assez aisé de voir, par exemple, que les référents du Baromètre n’assure d’abord d’aucune compétence en matière statistique.
Mais il ne faut pas oublier non plus, dans cette histoire, que diffuser des résultats erronés de la sorte, c’est confirmer une partie de la population dans ses stéréotypes astrologiques. Les astrologues eux-mêmes risquent de garder à l’esprit qu’une étude « prouve encore l’influence des signes astrologiques, décidément ! » et, pire, instrumentaliser le Baromètre Voltaire® 2019 dans un débat avec des personnes mal informées.
[Edit : je découvre au moment de la publication de cette seconde partie que des protestations contre le Baromètre Voltaire avaient été formulées dès 2015 (lien).]
Je terminerai ce long dossier en rappelant bien que mes conclusions sont sans lien avec la qualité des services proposés par le Projet Voltaire, entreprise déjà récompensée pour sa contribution au rayonnement de la langue française (lien). Je ne succomberai pas à la tentation du déshonneur par association (lien) qui pousserait à étendre par erreur les conclusions ci-dessus au-delà de leur portée réelle. Il n’empêche que le niveau de qualité littéralement médiocre du Baromètre Voltaire® 2019 peut à mon avis nuire à l’image du Certificat Voltaire pour bien des esprits. Qu’il serait bon aussi que le qualité de ce baromètre change pour la santé des esprits qui lui accordent une valeur qu’il n’a pas encore.
Je rappelle aussi l’existence de la vidéo du linguiste Linguisticae qui apporte un regard complémentaire à mon travail :
PARTIE 1 (17-12-2019)
Avertissements
La diffusion du Baromètre Voltaire® 2019
Biais de sélection et représentativité des résultats
La déformation des données
Appel à la popularité et stéréotypes
Serge Bret-Morel, le 19 décembre 2019
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Le livre sceptique Astrologie : la fin des mystères
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