La première partie de ce dossier sur l’apparition des horoscopes de presse nous a permis de décrire comment la naissance d’un Royal Baby, la princesse Margaret (petite sœur d’Elizabeth II, encore en fonction) a été l’occasion, un peu par hasard, de l’entrée de l’astrologie dans la presse à grand tirage.
Le jour de gloire !
L’article de l’astrologue Naylor « Êtes-vous né en octobre ? » paraît donc le 5 octobre 1930. C’est à partir de là que tout s’emballe. En même temps que des tremblements de terre, Naylor annonce qu’un aéronef Britannique sera en danger entre le 8 et le 15 octobre. En effet, alourdi par une pluie incessante et secoué par le vent, le ballon dirigeable Britannique R101 s’écrase le jour même de la publication de la prédiction ! Près de cinquante personnes périssent carbonisées. Parmi elles, le ministre britannique de l’Air et le vice-amiral de la Royal Navy. L’événement fait les gros titres et, avec un million de personnes achetant le Sunday Express, Naylor devient célèbre littéralement du jour au lendemain.
Grâce à Youtube, nous avons même aujourd’hui des films d’époque, non pas du crash, mais des jours précédents. Si vous souhaitez consulter ces sources, vous pouvez :
– Suivre le dernier vol du R101 (à 16 min, le film de la carcasse de l’appareil…). D’autres images ci-dessous :
– Suivre le R101 décollant ou volant, et reconstituer ses dernières minutes de vol (à partir de 4min51sec) :
– Suivre l’histoire du R101 et même assister aussi au crash du dirigeable Hindenburg :
Le dimanche 12 octobre suivant, Naylor explique : « Il peut être prouvé qu’à chaque fois que la nouvelle lune ou la pleine lune tombe à un certain angle de la planète Uranus, se produisent des accidents d’aéronefs, des tempêtes et parfois des tremblements de terre ».
Les choses ne sont heureusement pas aussi simples…
Précisons tout de suite que la presse ne relèvera aucune de ces catastrophes entre le 8 et le 15, période initialement prévue.
Or, à la différence de la voyance pure, l’astrologie s’appuie sur un outil technique : les planètes se déplacent à des vitesses connues dans une bande bien délimitée (dite zodiacale) de la sphère céleste, ce qui permet à l’astrologue de faire des prédictions. Si Naylor a défini la période du 8 au 15 octobre, c’est qu’une ou plusieurs configurations astrologiques remarquables se produisaient à ce moment-là. La précision technique étant ce qui fait la fierté de l’astrologue, il faut donc conclure implacablement que le crash du R101 datant du… 5 octobre s’est produit en dehors de la période prévue. Il n’y a donc pas de prédiction réussie !
Or il est habituel, pour les astrologues prévisionnistes qui manquent la date d’un événement majeur, de rechercher de nouvelles configurations astrologiques qui pourraient sauver l’astrologie. C’est ce à quoi on assiste avec Naylor qui se réfère maintenant à une pleine lune qui s’est produite en dehors de la période qu’il avait prévue !
La pleine lune qui se produit le 7 octobre est en effet exceptionnelle du point de vue astrologique car en conjonction exacte avec Uranus ! La chose aurait donc dû être cataclysmique et il y a là un énorme paradoxe. Si cette configuration est si importante, pourquoi Naylor fait-il initialement commencer sa période de danger le 8 octobre et non le 7, ou même encore plus tôt ? Parce qu’il n’en a tout simplement pas tenu compte, alors qu’il a formulé sa prédiction quelques jours seulement avant la catastrophe. Un grand classique en astrologie : les configurations exceptionnelles sont si nombreuses qu’elles en deviennent… ordinaires ! Si on préfère : l’astrologue se noie parfois (toujours ?) dans son système. La prédiction de Naylor était donc erronée, la justification est irrecevable (pour ne pas dire mensongère) : ce succès est tout sauf légitime.
Malheureusement, très loin de ces considérations techniques, le retentissement de cet événement est tel que le Sunday Express annonce dès le 12 octobre que les publications de Naylor seront dorénavant hebdomadaires. C’est une première en Angleterre dans un journal non spécialisé, sur une page entière et avec un tirage aussi important. Sous le titre « Ce que les étoiles présagent », le rédacteur en chef explique avec enthousiasme :
Le Sunday Express a reçu de si nombreuses lettres de lecteurs concernant la récente et extraordinaire prédiction de Mr R.H. Naylor que des dispositions ont été prises pour lui permettre une contribution exclusive et hebdomadaire. Celle-ci interprètera chaque semaine les présages astrologiques susceptibles d’influer sur les affaires nationales et mondiales. Elle avertira boursiers, turfistes ou politiciens et, en supplément, vous dira quel sort vous est peut-être réservé si votre anniversaire tombe cette semaine.
En moins de deux mois (du 21 août au 5 octobre), et même en une seule journée, Naylor et l’astrologie attirent (injustement) l’attention de millions de personnes ! Il y aura véritablement un avant et un après cette date : la popularité de Naylor va croître de façon démesurée et celle des prédictions astrologiques aussi. Or, chose étonnante, il va falloir plusieurs années pour que Naylor propose l’horoscope que nous connaissons. On le remarquera ci-dessus : ne sont annoncées que des prédictions à la semaine.
Mais ni l’Histoire ni les astrologues n’ont retenu ses réussites prévisionnelles. Comment alors la renommée de Naylor s’est-elle développée au point qu’il pourra écrire quelques années plus tard, et à juste titre : « Je revendique (…) d’avoir transformé la position du grand public vis-à-vis de l’astrologie ». Pourquoi une telle renommée alors et un tel oubli depuis : qui se rappelle encore de Naylor ?
Avec internet, aujourd’hui omniprésent, nous sommes habitués aux multiples supports de diffusion de l’information, qu’ils soient écrits, audio ou vidéo. Ce n’est évidemment pas le cas au début des années 30. Enfin… est-ce bien certain ? Comment Naylor va-t-il diffuser ses textes astrologiques ? Nous ne sommes pas au bout de nos surprises !
Troisième partie (cliquez ici) : la grande notoriété de Naylor
A suivre : la concurrence s’organise et le 1e horoscope (4e) ; réception par l’astrologie savante (5e) ; la guerre aura-t-elle lieu ? (6e) ; la valeur générale des prédictions et les circonstances du succès (7e).
Pour en savoir plus
Astrologie : la fin des mystères, éditions Mensa France, 2016, chapitre 2.
© Serge Bret-Morel
Autrefois astrologue, maintenant membre actif de l’association sceptique Observatoire Zététique, titulaire aussi d’un master en histoire et philosophie des sciences, Serge Bret-Morel travaille depuis plus de dix ans sur la question de l’analyse critique de l’astrologie.
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